Police de la route

 

 

QUELQUES REFLEXIONS SUR LE CODE DE LA ROUTE

 

Par L. AUSCHER (Revue de la Gendarmerie, juillet 1928 )

 

 

Le Code de la route, dont l’élaboration n’a pas demandé moins d’une vingtaine d’années, a été conçu et promulgué dans le but très défini d’éviter les accidents de la circulation.

C’est une nécessité, en effet, avec le progrès croissant du nombre de véhicules circulant sur les routes, nombre qui va chaque année en augmentant, d’édicter un certain nombre de règles de nature à discipliner leur circulation.

Il importe de bien comprendre que le Code de la route n’a été fait ni pour permettre aux agents de l’autorité de brimer les usagers en leur infligeant des contraventions, ni pour permettre à certaines catégories d’usagers de se croire les favorisés d’un régime nouveau.

 

Le jour ou tous ceux qui circulent : automobilistes, cyclistes, piétons, conducteurs de voitures attelées, conducteurs de bestiaux, se rendront compte qu’en observant strictement le Code de la route, ils éviteront la majeure partie des accidents qui les guettent, ce jour-là la circulation deviendra de plus en plus facile, et la menace qui pèse sur chaque usager ira de plus en plus en diminuant.

Il y a un certain nombre de principes qui doivent être compris aussi bien par ceux qui doivent respecter la loi que par ceux qui sont chargés de la faire appliquer :

 

  Chacun doit se tenir sur la route à la place qui lui est assignée ;

 

  Le nombre des véhicules automobiles va chaque jour en croissant ; en 1927, il circulait 900.000 automobiles sur les routes de France, en 1935, il en circulera vraisemblablement plus d’un million et demi.

Dans ces conditions, la vitesse bien et dûment canalisée ne constitue plus un danger, bien au contraire le seul moyen possible de décongestionner la circulation, aussi bien dans les villes que sur les routes.

En effet, seules, deux solutions sont possibles : ou élargir les routes, solution onéreuse et dans tous les cas très lointaine ; ou activer la circulation, ce qui ne peut se faire que si elle devient uniformément rapide ;

 

  Les dangers de la route proviennent ou de la route elle-même (tracé, sol, etc.), ou de ceux qui y circulent sans observer les lois de la circulation. Les dangers provenant du sol ou du tracé de la route sont généralement signalés par les associations de tourisme et le seront de plus en plus ; mais leur existence, même lorsqu’elle est signalée, n’en implique que plus de prudence de la part des usagers, et c’est dans ces cas que les prescriptions du Code de la route doivent être plus impérieusement observées. On peut affirmer, d’ailleurs, que le plus grand danger qui menace l’usager est constitué par la non-visibilité de l’obstacle ; ce qu’on voit est toujours moins dangereux que ce qu’on ne voit pas ; raison de plus pour ne pas considérer comme un danger imprévu celui qui surgit au détour du virage, au sommet d’un dos d’âne, à des croisements de routes. C’est en ces points surtout que l’usager, toujours maître de sa vitesse, doit considérer que l’observation stricte des prescriptions du Code est une sauvegarde pour lui. Dans cet ordre d’idée, on peut affirmer que le dépassement dans un virage constitue la plus dangereuse des imprudences, de même au sommet d’un dos d’âne, de même au croisement des routes, de même enfin partout où le véhicule qui en dépasse un autre ne peut ni voir ni prévoir le véhicule débouchant en sens inverse. Ce sont d’ailleurs ces points (points que l’on pourrait appeler les points névralgiques de la circulation), qui doivent être le plus surveillés par ceux qui sont chargés de faire respecter la loi.

Quant au danger provenant des usagers eux-mêmes, ils sont tous dus à l’imprudence ou à l’inobservation des règles du Code, ou à leur mépris raisonné et voulu par certains aliénés de la circulation, qui s’imaginent qu’ils sont de grands sportifs parce que, à chaque instant, ils courent le risque de leur vie, et, ce qui est encore plus fâcheux, font courir le risque de leur vie aux autres. Ce sont précisément ces derniers qui, se fiant à leur adresse ou à leur chance, ne tiennent pas compte des obstacles de la route, et n’observent pour ainsi dire jamais les prescriptions du Code lorsqu’ils les abordent ; raison de plus pour surveiller ces points qui constituent le rendez-vous indiqué de toutes les imprudences ;

 

  Il apparaît ainsi qu’il est autrement utile de discipliner la circulation en surveillant les points où elle présente des dangers que de diriger toute l’attention de la police routière à surveiller l’application de certains arrêtés désuets de municipalités rétrogrades.

Il a toujours été, et il est de plus en plus contraire à la logique, de limiter à un nombre précis de kilomètres la vitesse d’un véhicule à travers une agglomération. Une vitesse ne peut se contrôler d’une façon précise qu’à l’aide d’instruments eux-mêmes très précis, sinon les contestations sur sa valeur seront toujours possibles. Une vitesse, comme l’imposent certains arrêtés, de 8 kilomètres à l’heure est nettement ridicule et même impossible à observer ; c’est ce qu’ont d’ailleurs reconnu la majeure partie des maires de France, en unifiant la vitesse de traversée de leurs agglomérations à 20 kilomètres à l’heure ; mais même ce chiffre, quoique déjà plus libéral, ne signifie pas grand chose. On ne perçoit pas qu’un usager innocent, pour avoir traversé un village à 19 kil. 9, deviendrait subitement coupable pour avoir atteint la vitesse de 20 kil. 1. Tout dépend, en pareil cas, de la largeur des voies, de l’intensité de la circulation, de la présence d’un marché, etc… Tel conducteur ne sera pas dangereux marchant à 40 kilomètres à l’heure, tel autre le deviendra en ne marchant qu’à 10 kilomètres à l’heure. Tout doit donc se résumer dans la formule : allure modérée prescrite à tout véhicule ;

 

5°  Lorsqu’on parle des dangers de la route, on ne vise, trop souvent, que les automobilistes. Or, on pourrait démonter que la moitié des accidents est due à l’inobservation du Code par les autres usagers, comme par exemple les cyclistes circulant en groupe ou au milieu de la chaussée, ou n’ayant pas, la nuit, d’appareils signalant leur présence ; les voituriers qui, d’une manière générale, n’ont aucune connaissance même lointaine des plus élémentaires prescriptions du Code et dont l’éducation est à faire le plus complètement et le plus rapidement possible et, bien souvent, les piétons, qui ne se rendent pas encore bien compte des dangers qu’ils courent et font courir aux autres en n’empruntant pas les trottoirs ou les bas-côtés de la route.

 

 

La création d’une police routière éducative et préventive aura certainement les effets les plus bienfaisants, car elle contribuera puissamment à mettre chacun à sa place. Se servant, pour discipliner la route, des véhicules mêmes dont elle est appelée à contrôler la circulation, elle comprendra d’une façon claire et pratique les lois de cette circulation, qu’il lui était difficile d’appliquer et de comprendre lorsqu’elle n’opérait qu’à pied. Grâce à elle, il entrera enfin dans l’esprit de tous que la vitesse intelligemment disciplinée, n’est pas un danger, mais un des éléments les plus utiles de la circulation

 

La vitesse, qu’il ne faut pas considérer comme le privilège égoïste de quelques oisifs, est un facteur industriel des plus importants. Elle signifie transport rapide, c’est-à-dire gain de temps et, par suite, économie ; elle signifie aussi relations plus faciles, c’est-à-dire pénétration réciproque des habitants d’un même pays ou de pays différents ; elle signifie enfin développement ; elle signifie aussi relations plus faciles, c’est-à-dire moyen indiscutable de développer la richesse et la santé. Cette vitesse-là, il faut l’encourager et la protéger contre les excès des chauffards, des pédards, de tous ceux qui, ne songeant qu’à eux, oublient la solidarité nécessaire de tous ceux qui circulent, et sabotent avec inconscience le plus grand bien que nous ait apporté le progrès, c’est-à-dire la liberté des communications.

 

L. AUSCHER.

Président de l’Union Nationale des Associations

De tourisme.